Somatic Experiencing et guérison du traumatisme
Dans cette approche, divers protocoles basés sur le toucher et le mouvement sont proposés. Ils ont pour but de stimuler l’intelligence organique afin de permettre une décharge des énergies traumatiques enkystées. Cette approche douce et sécurisante de la Somatic Experiencing vise à favoriser l’incarnation, définie comme étant la perception consciente de la présence de notre corps. Elle se base sur la gravité comme principe unificateur du mouvement intrinsèque. Quand le corps s’abandonne à la force de gravité, la personne peut s’orienter dans l’ici et maintenant et entrer dans l’immobilité sans peur qui est une porte de sortie du figement.
Que fait la souris juste avant de se trouver coincée dans les pattes du chat ? Elle fait la morte. Que faisons-nous, humains, lorsque nous sommes confrontés à un danger qui dépasse notre capacité à y faire face ? Nous aussi, nous nous figeons. Quand le combat ou la fuite ne sont plus possibles, c’est en effet « la dernière réponse instinctuelle dont disposent les reptiles et les mammifères », souligne l’Américain Peter A. Levine, fondateur d’une méthode thérapeutique de résolution du traumatisme appelée somatic experiencing (SE) ou « expérience somatique ». Peu connue en France (une cinquantaine de praticiens), elle est très développée aux États-Unis.
C’est en étudiant les animaux que ce physiologiste a eu, il y a une quarantaine d’années, l’intuition d’une similitude entre leur réponse face au danger et la nôtre. Mais il a aussi observé une différence essentielle. Si le chat ne mange pas la souris après avoir joué avec elle, celleci sort du figement, court dans tous les sens et, en déchargeant la tension retenue (elle fuit et attaque « dans le vide »), reprend le cours de sa vie sans dommages. L’homme, lui, rationalise, cherche des explications, veut montrer qu’il s’en relève et que tout va bien. Et de ce fait il laisse le figement se perpétuer. Pour Peter A. Levine, c’est ce mécanisme de prolongement du figement bien au-delà de la période de danger qui crée le traumatisme. Et non l’événement en lui-même.
Chez la souris comme chez l’homme, l’immobilité n’est pas une lâcheté : c’est une stratégie de la dernière chance qui lui permet de rester en vie jusqu’à ce que le danger soit passé. En faisant la morte, la souris peut tromper son prédateur et profiter d’un moment d’inattention pour s’échapper. Dans le pire des cas, cet état modifié de conscience aura l’ultime avantage d’atténuer sa douleur.
Rompre le cercle vicieux
Pour limiter le traumatisme après une chute par exemple, laissez faire votre corps. « Ne vous relevez pas tout de suite comme si de rien n’était. Observez sans jugement les engourdissements et les tremblements, les sensations de chaud ou de froid qui traversent votre organisme – avec, si possible, le soutien bienveillant d’une autre personne qui assure votre sécurité physique et émotionnelle. Restez sur le sol et attendez que votre système nerveux décharge spontanément la forte activation qu’il contient. Lorsque vous êtes témoin d’une chute, faites de même : essayez de réguler votre propre système nerveux en respirant, en vous ancrant dans le sol, puis, une fois apaisé, d’aider l’autre à décharger son énergie.
Chez l’homme, cette anesthésie physique et psychologique est désignée par le terme de “mécanisme de dissociation”. C’est ce qui nous permet de supporter l’insupportable. Mais cette façon de « couper les plombs » a des conséquences importantes sur l’organisme. « C’est comme si, dans une voiture lancée à 100 km/h, pour “fuir ou combattre”, nous tirions tout à coup le frein à main », détaille-t-il. L’énergie qui n’a pu être déchargée reste alors piégée dans notre organisme et peut engendrer les innombrables symptômes somatiques, comportementaux et relationnels classiquement décrits dans le « trouble anxieux post-traumatique ». S’ensuit alors un cycle pathologique : les réponses de combat et de fuite, inexprimées, entraînent des sentiments de rage et de terreur. Intériorisés, ils nous terrorisent d’autant plus que nous les refoulons. Et, pour mieux les réprimer, nous développons encore plus de symptômes, qui nous figent davantage et alimentent nos peurs. C’est le cercle vicieux du traumatisme.
À lire Peter A. Levine, nous sommes tous traumatisés. « Chacun de nous a vécu au moins une expérience traumatisante au cours de sa vie », écrit-il. Notre naissance, de la maltraitance, des abus sexuels, un incendie, une inondation, une catastrophe naturelle, une anesthésie ou une opération chirurgicale, tout ce que le corps a ressenti comme une menace à laquelle il n’a pas pu réagir par la fuite ou le combat est potentiellement traumatisant. Cependant, souligne Michel Schittecatte, le postulat selon lequel le traumatisme n’est pas lié à ce qui nous est arrivé, mais est le résultat d’un processus qui n’a pas pu aller à son terme naturel, a trois conséquences positives. « La première est que nous possédons dans notre corps notre propre potentiel de guérison : c’est notre capacité instinctuelle à sortir du figement. La deuxième est que nous pouvons y participer activement, avec le soutien d’un thérapeute. La troisième est que le traumatisme n’est pas une condamnation à vie puisqu’il n’est pas lié à l’événement vécu mais à la trace qu’il a laissée. Et cette trace, nous pouvons la transformer. »
L’avantage à travailler sur le figement et non sur l’événement est qu’il n’est pas nécessaire de se souvenir de ce qui a provoqué le trauma, même si cette méthode thérapeutique a été conçue pour les traumatismes ponctuels et identifiés (cinq à dix séances suffisent alors généralement).