Une retraite spirituelle vers l’Eveil : exploration de Soi et dyade d’illumination
A propos des séminaires intensifs « Qui suis-je ? »
La question « Qui suis-je ? » semble, à première vue, d’une simplicité enfantine. Pourtant, lorsqu’elle est posée avec authenticité, en dehors de toute volonté de répondre, elle devient un passage : une ouverture radicale à la source même de l’expérience consciente. Ce n’est pas tant une énigme à résoudre qu’un mouvement de retrait – un abandon progressif des identifications mentales, affectives et corporelles vers ce qui, en amont de toute forme, perçoit, accueille et demeure.
Cette démarche, centrale dans les grandes traditions contemplatives – qu’il s’agisse de l’Advaita Vedānta¹, du Dzogchen tibétain² ou du Zen³ – s’est incarnée, dans un cadre contemporain, au sein d’une pratique étonnamment simple et rigoureuse : la dyade d’illumination. Développée dans les années 1960 par Charles Berner⁴, la dyade combine la rigueur de l’investigation intérieure issue des retraites zen Seeshin⁵ à la clarté communicative d’un cadre intersubjectif.
Deux personnes se font face. L’une reçoit une consigne – généralement : « Dis-moi qui tu es ». Elle parle pendant cinq minutes. L’autre écoute en silence, sans approuver, commenter ou analyser. Puis les rôles s’inversent. Ce cycle est répété des dizaines de fois dans un environnement protégé, souvent sur plusieurs jours, sans distraction, dans une structure soigneusement ritualisée. Ce qui pourrait passer pour un simple exercice de communication devient alors un creuset d’une profondeur remarquable. Ce qui est exprimé n’est pas analysé. Ce qui est entendu n’est pas interprété. L’espace relationnel devient un miroir nu, où les récits du moi – souvenirs, images, jugements – viennent se refléter et, peu à peu, se dissoudre.
La particularité de cette approche réside dans son alliance de la contemplation et de la relation. Là où la méditation classique engage un regard solitaire tourné vers l’intérieur, la dyade introduit la présence d’un autre, non pas comme guide, mais comme témoin. Cet autre ne donne aucune réponse, ne formule aucune interprétation. Il offre seulement sa présence stable, silencieuse, vide de réaction. Et c’est dans ce vide que le mental, privé de ses repères habituels, commence à se désagréger.
La parole, dans ce contexte, n’est plus un outil de narration ni d’influence. Elle devient un geste de dépossession. On ne parle pas pour convaincre ou se définir, mais pour explorer, au plus proche du vécu, ce qui émerge ici et maintenant. Ce processus de verbalisation, répété avec intensité, épuise progressivement les constructions conceptuelles. L’ego se dit, se répète, puis s’essouffle. Les couches de défense tombent. Et parfois, dans une respiration, dans un mot suspendu, une bascule se produit : l’expérience de l’être se donne à voir, non plus comme objet, mais comme sujet même de toute expérience.
Cet instant n’a rien de spectaculaire. Il ne s’accompagne d’aucune extase, d’aucune vision. Il est simplement la reconnaissance tranquille, indéniable, de ce qui a toujours été là : la conscience elle-même. Non personnelle. Non localisée. Non conditionnée. Cette reconnaissance – souvent décrite dans les traditions non-duelles comme une expérience d’éveil ou d’illumination – n’est pas un aboutissement, mais une déconstruction. Elle ne consiste pas à atteindre quelque chose, mais à cesser d’ajouter ce qui n’est pas.
La force de la dyade réside dans son efficacité. En trois jours, un participant peut traverser des couches de conditionnement qui, dans un cadre thérapeutique ou méditatif classique, prendraient des mois voire des années à se dénouer. Cette accélération ne tient pas à la méthode elle-même, mais à son intensité : la répétition, la sécurité du cadre, la présence constante de l’autre, et surtout, l’engagement à dire la vérité – non la vérité absolue, mais celle qui se donne à voir dans l’instant, au-delà de l’habitude de se raconter.
Contrairement à certaines voies contemplatives plus solitaires, la dyade engage la parole non comme distraction mais comme catalyseur. Elle permet une forme de clarification dynamique, un dépouillement progressif de l’illusion de séparation, non dans le silence vide, mais dans l’échange délibérément épuré de toute intention personnelle. La parole ne remplace pas la contemplation : elle en devient le prolongement conscient.
Cette pratique, bien que contemporaine dans sa forme, s’inscrit dans la continuité des voies d’investigation directe. Elle ne propose aucune croyance, aucune philosophie, aucune vision du monde. Elle ne promet rien. Elle invite simplement à regarder – et à dire. À habiter l’espace de la question sans se précipiter vers une réponse. Et dans cet espace, parfois, le réel se révèle. Non pas comme un objet, mais comme notre propre présence, silencieuse, toujours déjà là.
Dans un monde saturé de bruit, de concepts, de méthodes, la dyade d’illumination offre un chemin étonnamment dépouillé. Elle ne cherche pas à nous améliorer, à nous réparer, ni à nous sauver. Elle nous propose seulement de nous rencontrer – tels que nous sommes, sans défense, sans masque, sans devenir. Et dans cette nudité, peut apparaître la paix sans cause qui ne dépend de rien.
Notes et références :
- Advaita Vedānta : courant philosophique non-duel issu de la tradition védique indienne, systématisé par Śaṅkara au VIIIe siècle. L’affirmation centrale est que l’âtman (le soi individuel) et le brahman (la réalité ultime) sont un.
- Dzogchen : signifiant « perfection naturelle », le Dzogchen est un courant contemplatif du bouddhisme tibétain centré sur la reconnaissance directe de la nature de l’esprit.
- Zen : école du bouddhisme Mahāyāna, issue du Chan chinois, mettant l’accent sur la pratique du zazen (méditation assise) et l’expérience directe plutôt que sur les textes.
- Charles Berner : enseignant américain (1929–2007), fondateur de la « Communication Intensive », méthode de développement de la conscience combinant dyades et retraites intensives, parfois appelée « séminaire d’illumination ».
- Seeshin (sesshin) : retraites intensives de méditation dans la tradition zen, impliquant plusieurs jours de pratique silencieuse, en posture assise, souvent dans un cadre strict.